Pouvez-vous décrire vos premiers instants en tant qu'enseignante ?

J'avais pas mal d'appréhension parce que c'était une des premières fois où je me retrouvais face à un groupe de personnes plus jeunes. Mais, j'avais bien préparé ce premier cours de rentrée, j'avais pris beaucoup de notes. J'ai lu ce que j'avais à dire : mes notes étaient pour moi à la fois un support pour me rassurer et aussi une manière de me présenter aux élèves. Ainsi, je me montrais authentique avec eux. Je me présentais avec des feuilles en braille papier et ils voyaient vraiment ma façon de travailler. J'arrivais aussi avec l'assistant. Ils me voyaient donc comme ils allaient me voir toute l'année avec des méthodes de travail qui m'étaient propres.

Pour l'assistant, j'avais fait un recrutement préalable, je lui avais expliqué, dans la mesure du possible, comment on allait travailler. Je m'étais renseignée auprès de collègues eux-mêmes aveugles, qui m'avaient donné des critères de recrutement pour choisir mon assistant : une orthographe de qualité, une relation de qualité avec les adolescents, le sens de l'écoute. La première année, c'était quelqu'un que je connaissais.
Chaque année, c'est à moi de procéder au recrutement de l'assistant. Rétrospectivement, je pense que c'est mieux parce qu'on sait exactement quelles compétences on recherche chez la personne à recruter, même si ce n'est pas facile de faire des choix.

Comment s'est passé le premier contact avec vos élèves ? Quelles étaient leurs réactions ?
Les élèves étaient très silencieux, très attentifs et concentrés, ils étaient assez curieux de ce qui se passait. Il me semblait parfois qu'ils faisaient plus attention à ma façon d'être qu'au contenu que j'essayais de véhiculer. C'est la perception que j'avais. Durant les deux ou trois premières semaines, je sentais chez les élèves beaucoup de curiosité et un effet de surprise.
 

Et qu'avez-vous appris de ces premières expériences, en faisant classe ?

Je me suis dit qu'il fallait toujours être authentique, montrer ses limites, dire quand ça n'allait pas. J'ai beaucoup insisté auprès des élèves sur le fait qu'ils devaient me signaler sans crainte s'ils avaient besoin qu'on écrive davantage au tableau, s'ils ne comprenaient pas certaines annotations sur leurs copies.
D'autre part, j'ai vraiment essayé de faire en sorte qu'ils comprennent bien quels étaient nos rôles respectifs, à l'assistant et à moi-même. Au début, les élèves ont eu du mal à faire la part des choses, et se comportaient comme s'ils avaient deux professeurs en face d'eux. Il faut donc instaurer une vraie répartition du travail par rapport à l'assistant. Il peut avoir un petit rôle pédagogique, mais il faut vraiment que ce soit restreint.
La première phase d'enseignement est centrée sur cette identification par les élèves des rôles de chacun mais aussi sur l'accordage nécessaire entre l'assistant et l'enseignant malvoyant.

J'ai toujours tenu à utiliser le tableau. Dès que j'épelais quelque chose, le mot était noté parallèlement au tableau par l'assistant. Je me disais qu'il y avait des élèves visuels et d'autres auditifs : il fallait que le cours réponde aux différents publics. La consigne pour l'assistant, c'était d'écrire les grands titres, la date, les mots difficiles. Il en prenait vite l'habitude. Pour la lecture de textes, j'avais les documents en braille papier. Toutes les œuvres intégrales avec lesquelles je travaillais étaient transcrites en braille.

 

Pouvez-vous nous parler des besoins nécessaires pour un enseignant non voyant ?

A mon sens, l'assistant est indispensable. Il est là 22 à 35 heures par semaine, selon les académies : pour les 15h ou 18h de cours, puis pour la correction des copies qui est très prenante. Cet horaire de l'assistant ne couvre pas la préparation des cours. Je travaillais alors essentiellement avec des bénévoles pour la préparation des cours. Sinon, les gens autonomes avec les nouvelles technologies peuvent travailler grâce à un scanner, aux fichiers Word...

 

Si vous aviez à donner deux ou trois conseils à un collègue non ou mal voyant qui n'a jamais travaillé avec des élèves, que lui diriez-vous ?

De ne pas vouloir forcément tout faire tout seul parce qu'il y a un moment où les élèves vont chercher les limites du professeur. Ils vont faire des choses qui lui échappent forcément, des choses visuelles comme sortir un téléphone, se passer un petit mot... Il y a un moment où il faut savoir déléguer et accepter que l'assistant voie et dise ce qui se passe. Pour le recours au tableau, il faut que l'enseignant non-voyant accepte la présence de l'assistant, qu'il lui donne un rôle bien défini.

Le cours doit vraiment être impeccable pour que ce qu'on pourrait reprocher à l'enseignant ne soit pas lié à sa cécité. En effet, en cas de faille ou de différence, les élèves vont l'exploiter.
Par exemple, en conseil de classe, des collègues disaient que les élèves n'étaient pas disciplinés parce qu'ils prenaient la parole sans lever la main en cours. Les délégués ont rétorqué : « Oui, mais avec Madame C., on n'a pas besoin de lever la main ! » C'est vrai qu'avec moi, ce n'était pas nécessaire. Ça se passait bien : j'avais identifié les voix, je pouvais donc canaliser les élèves.

Je leur demandais de toujours garder la même place. On se rend compte que ce sont toujours les mêmes qui participent oralement. Parfois, je me trompais de personne mais les élèves ou l'assistant me disaient gentiment : « non, c'est un tel ». Ils avaient compris qu'en cours, j'étais concentrée et je reconnaissais leurs voix le plus souvent. A l'inverse, en récréation ou dans les couloirs, j'étais moi aussi hors du cours et je ne faisais plus attention.

Il faut être conscient de ses limites, parce qu'elles nous « rattrapent ». Personne ne s'est montré plus exigent à mon égard mais peut-être à cause de ma cécité, je me suis imposée à moi-même de « faire mes preuves ».
 

En tant qu'ancienne élève non voyante, que conseilleriez-vous en termes de scolarité à un élève non voyant ?

Chaque situation est différente, je n'ai pas de conseils généraux. Ce qui est primordial à mon avis, c'est que les apprentissages spécifiques soient vraiment bien maîtrisés, à savoir le braille, l'informatique (les différents logiciels comme Jaws et des logiciels d'embossage), la locomotion. Il faut vraiment que l'élève sache qu'il a aussi ses limites. Mais, c'est une chose difficile quand on est enfant ou adolescent. Il ne pourra pas dessiner comme un voyant par exemple, ce qui n'est pas évident à accepter quand on est enfant ou adolescent. Que ce soit en inclusion ou en établissement spécialisé, je crois que chacun doit le faire comme il le sent. Les parents ont un rôle important en la matière. Je trouve que les apprentissages de base doivent être maîtrisés encore mieux que pour un voyant.

 

Quels conseils donneriez-vous à un enseignant qui reçoit un élève non voyant dans sa classe ?

Je lui dirais de ne pas en faire un « cas » à tous moments mais tout de même d'être attentif à respecter les spécificités de cet élève : c'est un savant mélange ! Il faut tout verbaliser, c'est quelque chose que n'arrivent pas toujours à faire les enseignants quand ils écrivent au tableau par exemple. Pour les professeurs de langue, il faut épeler tous les mots. Cela peut sembler contraignant mais ça sert de toute façon aux autres élèves aussi. Il faut donc dire ce qui est écrit au tableau, mais aussi le commenter.

Il faut privilégier un traitement individuel de l'élève déficient visuel (DV), dans la mesure du possible, pour lui commenter sa copie, sinon, ce ne sera pas fait. Insister sur les fautes qui sont récurrentes, parce que l'élève va dire qu'il va se la faire relire mais il ne le fera pas forcément! Il faut vraiment que le professeur prenne un temps, si possible lors de la remise de copies, ou que l'élève le fasse avec son auxiliaire de vie scolaire (AVS).

En tant qu'élève, je faisais tout mon possible pour passer inaperçue. Je parlais et intervenais très peu. J'avais une machine qui faisait déjà beaucoup de bruit !
Pour les exercices à la maison, j'étais autonome, j'avais les manuels scolaires en braille. Il suffisait que je fasse le travail et je tapais les devoirs à la machine à écrire pour les professeurs qui les ramassaient. J'ai commencé à me servir de l'informatique à l'université, en licence. Avant cela, il n'y avait pas tout ce qu'on trouve maintenant. Cela a changé ma vie : ça fait beaucoup moins de bruit quand je prends des notes, et la communication avec les voyants est tout de même beaucoup plus simple grâce aux mails et au fait qu'on peut imprimer des documents...

Mise à jour des liens 28/06/2017
 

Circulaire n° 2015-129 du 21-8-2015 : Unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis), dispositifs pour la scolarisation des élèves en situation de handicap dans le premier et le second degrés

Arrêté du 2-4-2009 - J.O. du 8-4-2009 : Création et organisation d'unités d'enseignement dans les établissements et services médico-sociaux ou de santé

Circulaire n° 2017-084 du 3-5-2017 : Missions et activités des personnels chargés de l'accompagnement des élèves en situation de handicap

Aménagement des examens ou concours pour les candidats présentant un handicap : textes officiels : Dossier INSHEA

Annuaire des MDPH
Coordonnées des Maisons Départementales des Personnes Handicapées sur le site Action-sociale

Loi du 11 février 2005 sur l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées
(voir en particulier l'Article 19)

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