Pouvez-vous nous parler de votre travail d’enseignante à l’hôpital ?

Je suis professeure des écoles spécialisée dans le champ des troubles des fonctions motrices et des maladies chroniques invalidantes. Depuis sept ans, je travaille dans un hôpital qui reçoit des enfants et des adolescents de toute la France, mais aussi ultra-marins, de Mayotte et des Comores, ou encore des pays du Golfe ou de l’est de l’Europe, pour le traitement de cancers. 

Quatre services se répartissent les jeunes malades : un service d’hospitalisation de jour, en ambulatoire, un deuxième pouvant accueillir 12 jeunes enfants, un troisième réservé aux adolescents et enfin un service en secteur protégé avec 10 chambres individuelles. Dans l’équipe pédagogique, je travaille avec une autre enseignante, deux éducatrices spécialisées, deux professeurs d’arts plastiques et un chef de projet numérique. Alors que ma collègue accueille dans la classe de l’unité d’enseignement tous les jeunes qui peuvent y venir, je vais de mon côté uniquement dans les chambres des jeunes et travaille avec chacun individuellement « au chevet ». Parfois les parents sont présents dans la chambre lors de mes interventions d’enseignement, ce qui peut être aidant ou non pour mobiliser l’attention et l’intérêt de mon élève. Lorsque la chambre est double, les deux élèves ont rarement le même âge ou niveau scolaire, mon travail d’enseignante est alors focalisé sur un seul élève à la fois. Dans la chambre, outre l’appareillage médical qui souvent limite les mouvements de l’élève (perfusion par exemple), l’espace est restreint, la table étroite et le matériel scolaire inexistant. Je dois ainsi apporter tout le matériel et les outils nécessaires pour permettre à chaque élève de réaliser le travail que je lui propose. 

Pour chaque période d’hospitalisation du jeune, je mets en place un emploi du temps scolaire individuel. Cependant, celui-ci est amené à varier selon les interventions médicales ou l’état physique ou psychologique de l’élève. Je m’occupe également d’organiser la mise en place du Sapad (Service d'assistance pédagogique à domicile) pour les élèves qui quittent l’hôpital pour des périodes de convalescence.

Pouvez-vous nous parler des besoins éducatifs particuliers de vos élèves ?

Mes élèves sont très ralentis par la maladie et les soins. Souvent alités, ils ne sont parfois pas en mesure de rester assis dans leur lit. Ils ont tous une grande difficulté à mobiliser leur attention et à la maintenir. Ils ont souvent des tremblements et des difficultés à parler. Ils sont fatigués et fatigables. Tous, mais plus particulièrement les adolescents, sont en colère. Même si les médecins leur annoncent au début du traitement un protocole de soins, le corps de chacun réagit différemment et l’évolution de leur état de santé se passe rarement comme prévu. Ainsi, l’école ou les études ne sont pas leur priorité. Le poids du traitement ou encore l’enfermement que génère la maladie ne leur donnent ni l’envie ni le courage d’être élève. Souvent très motivés lors de leur arrivée dans le service, ils le sont de moins en moins au fur et à mesure du temps et des traitements.

Les besoins particuliers de mes élèves sont de disposer d’activités qui leur feront mettre de côté un moment le poids de la maladie et des traitements, donc qui les « sortent » du monde hospitalier dans lequel ils doivent demeurer. Ils ont besoin que je leur propose des activités qui les distraient et les intéressent. Il me faut aussi tenir compte des troubles conséquents de la maladie et des traitements pour adapter les modalités d’apprentissage. Ainsi, l’oral peut être plutôt mobilisé pour un élève qui n’a pas la force de rester assis ou qui ne peut tenir un crayon. Pour un autre qui a de grandes difficultés à parler, ce sont des activités de manipulation qui sont proposées ou encore des dictées à l’adulte pour travailler la création de textes en lien avec des supports visuels comme des albums, des œuvres d’arts ou des photographies par exemple.

Je dois tenir compte de l’état physique et psychologique de mes élèves et de leur disponibilité à apprendre tout au long de mes interventions. En effet, compte tenu de leur faible disposition à rester concentrés, il est nécessaire que le travail que je leur demande maintienne ou relance régulièrement leur attention, souvent à l’aide d’une succession d’activités variées. Du fait de leur grande fatigabilité, je dois être particulièrement attentive à leur état, quitte à modifier ce que j’avais prévu. Il me faut aussi prendre en compte les manifestations de leur colère auxquelles je peux y être confrontée, comme le refus de travailler par exemple. 

Ma présence dans la chambre du jeune malade pour lui proposer des activités d’apprentissage n’est donc pas toujours bien accueillie. Il me faut user d’imagination, m’appuyer sur ses éventuels centres d’intérêt, être sensible à sa forme physique et psychologique, et aussi être patiente.

Pouvez-vous faire des sorties avec les élèves hospitalisés ?

Compte tenu des maladies des jeunes hospitalisés dans l’hôpital où j’enseigne, il n’est malheureusement pas question d’imaginer des sorties scolaires pendant les périodes de soins, à l'hôpital. Ce sont des intervenants extérieurs qui apportent aux jeunes des ressources culturelles et scientifiques ou qui proposent des activités au sein de l’hôpital. Dans ce cadre, il est possible de mettre en place des collaborations entre les membres de l’unité d’enseignement et ces intervenants, pour développer des projets à thème et associer aux interventions extérieures des temps d’apprentissage en lien avec les référentiels scolaires. Parfois, cependant, ces partenariats peuvent s’accompagner de visites dans un musée. En effet, les protocoles de soins s’organisent autour de temps de traitements et de temps de convalescence à domicile. La visite d’un lieu public culturel peut alors être proposée aux jeunes qui se trouvent en convalescence chez eux, sous réserve de l’accord de l’équipe médicale qui les suit. Mais ces visites sont soumises à des contraintes importantes.

Quels sont les intérêts et les limites de ces sorties pour vos élèves ?

Les visites de musées que nous prévoyons, en partenariat avec les animateurs des établissements culturels ou scientifiques, ont plusieurs objectifs. Tout d’abord, elles s’inscrivent dans les objectifs des programmes scolaires, l’éducation artistique et scientifique se construisant par la confrontation avec des œuvres, des artistes, avec le réel du vivant et du monde, avec les réalisations des scientifiques. Beaucoup de jeunes qui sont soignés dans l’hôpital où je travaille ne sont jamais allés dans un musée ; c’est une occasion de combler ce manque. Autant que possible, nous cherchons à associer des classes ordinaires aux visites que nous organisons : cela permet aux jeunes malades de renouer des relations avec des enfants ou adolescents de leur âge et d’interagir avec eux. Enfin, l’expérience de la maladie chronique et de l’hospitalisation rapproche souvent les parents de leur enfant malade, conduisant à des relations au sein de la famille dont l’intensité est très forte et qui prennent du temps à revenir à un degré plus mesuré. Puisque les parents accompagnent leur enfant au musée, nous essayons autant que possible de proposer un parcours de visite spécifique pour les parents, afin d’aider peu à peu à dénouer ce lien parfois très fusionnel.

Cependant, le fait que ces visites se déroulent sur des périodes où les jeunes ne sont pas à l’hôpital rend leur déroulement compliqué. L’accord des médecins est obligatoire, la liste des jeunes qui peuvent y être invités est réduite. Les visites étant proposées à des jeunes qui ne sont plus hospitalisés, cela implique obligatoirement que les familles se mobilisent pour accompagner leur enfant : en effet, la visite est construite par les enseignantes en collaboration avec le musée, mais les jeunes doivent se rendre sur place avec leurs proches. Outre la distance qui peut être grande entre leur habitation et le musée, il faut que les parents soient disponibles et en mesure de se déplacer avec leur enfant. Certaines familles ne souhaitent pas participer à des visites où ils vont côtoyer d’autres jeunes malades car elles veulent oublier une période de vie douloureuse. Ainsi, d’une liste potentielle d’une cinquantaine d’enfants soumise aux médecins référents, il n’y a le jour de la visite au musée souvent que quatre ou cinq enfants et leurs familles. D’autre part, il est fréquent que la visite prévue pour les parents ne rencontre pas leur intérêt et qu’ils la délaissent, préférant rester avec leur enfant dans le musée. Il est enfin difficile de prévoir une exploitation des sorties au musée parce que nous ne revoyons pas forcément les enfants qui se sont rendus à la visite.

Deux exemples de visites

Visites à la Cité des Sciences et de l’Industrie à Paris

L’Unité d’enseignement de notre hôpital a un partenariat depuis une douzaine d’années avec Universciences, établissement public qui regroupe depuis 2010 le Palais de la Découverte et la Cité des Sciences et de l’Industrie à Paris. Ce partenariat comporte deux actions distinctes : la venue de personnes de la Cité des Sciences à l’hôpital, et l’organisation de visites dans le musée. Deux médiatrices de la Cité des Sciences encadrent des ateliers scientifiques au sein de l’hôpital et proposent aux jeunes malades des expériences diverses. Un calendrier des interventions est déterminé en début d’année entre les partenaires. Les médiatrices choisissent les thématiques des ateliers en fonction des expositions prévues aux dates fixées pour les visites. Nous leur demandons que les élèves ne soient pas uniquement spectateurs mais qu’ils aient l’occasion de réaliser des manipulations au cours de l’atelier et qu’ils conservent de ce temps scientifique un objet tangible qu’ils pourront emporter chez eux. La seconde action de ce partenariat se déroule donc à la Cité des Sciences, pour les enfants qui sont sortis de l’hôpital (mais qui ne sont pas toujours retournés dans leur école). Les médiatrices organisent alors la visite de l’exposition en cours dans leurs murs à la date choisie et la complètent par un atelier qu’elles animent. 

Il existe des limites à cette organisation, que nous envisageons de faire évoluer. Le calendrier des actions étant prévu très longtemps à l’avance, il est parfois difficile d’ajuster les contenus aux intérêts et aux besoins des élèves qui sont effectivement présents le jour de la visite. En outre, il peut arriver qu'à une date prévue, aucun élève ne puisse se déplacer.

En projet, une visite de la petite galerie du Louvre

Dans le cadre d’un partenariat entre le musée du Louvre et l’Éducation nationale, un projet nommé « La classe, l’œuvre ! », propose aux élèves d’« étudier tout au long de l'année scolaire une œuvre ou un objet conservé dans la Petite Galerie au Louvre et de concevoir une médiation, qui pourra être présentée idéalement lors de la Nuit européenne des musées, le 16 mai 2020 ». J’ai décidé de participer à ce projet, en me rapprochant du musée du Louvre et de l’enseignante d’arts plastiques du service. J’ai fait le choix d’un tableau exposé dans la petite galerie du Louvre, avec l’idée d’organiser une visite pour voir le tableau sur place. Pour la restitution de l’étude faite par les élèves, j’ai prévu de leur faire fabriquer un Kamishibaï ou théâtre de papier, genre narratif japonais qui permet de raconter une histoire. Composé d’un butaï ou théâtre en bois dans lequel des planches cartonnées sont introduites, le conteur les fait défiler devant son public. Chaque planche comporte un recto qui propose une illustration et un texte au verso du côté du conteur. Ainsi, les connaissances élaborées autour de l’étude du tableau pourront être présentées dans un format original, l’ensemble étant filmé pour être présenté en public (puisque les élèves ne pourront pas se déplacer). J’ai ainsi conçu des séances variées autour de l’étude de cette œuvre, en collaboration avec ma collègue professeure d’arts plastiques, tout en poursuivant l’objectif d’organiser une visite avant l’été. 

Le tableau présenté à la Petite Galerie est l’œuvre d’un artiste anonyme et présente cinq grands maîtres italiens de la Renaissance. C’est un hommage qui leur est rendu. L’objectif de la médiation est de présenter chacun des personnages et de les faire dialoguer entre eux afin de mieux les connaître. Le projet fonctionne surtout sous forme d’ateliers. Nous avons commencé par un questionnaire pour découvrir le tableau « pas à pas » puisque l’âge des participants étaient très différent (de 4 à 16 ans). Selon leur âge, les élèves peuvent se questionner sur les contenus d’une image (personnages, objets, lieux…), le format, le cadrage, la composition, les couleurs… Tous les élèves participant au projet ont joué le jeu et ont émis des remarques pertinentes. Ensuite nous avons travaillé sur les œuvres de chaque personnage et ont été réalisés des bas-reliefs en argile, des gravures sur plexiglas, des peintures avec dorure et des œuvres « mathématiques » imaginaires. Chaque élève a réalisé son œuvre, ce qui a été une réelle source de motivation. Les élèves ont aussi édifié une œuvre collective : un dôme en papier mâché. Enfin, à l’aide de documents écrits, les élèves ont rédigé des cartes d’identité de chaque personnage : Uccello, Donatello, Manetti, Brunelleschi et Giotto.

Individuellement ou à plusieurs, les élèves ont inventé des dialogues pour chaque personnage, travail qui a nécessité de la cohérence et le respect de la chronologie du futur Kamishibaï. En revanche, par manque de temps, ma collègue et moi-même avons établi le fil directeur du scénario et réalisé certaines modifications des visuels réalisés par nos élèves, via un logiciel informatique.

Actuellement le projet est en cours et il nous reste à enregistrer les dialogues, les transférer sur les visuels pour que le Kamishibaï fonctionne, dans un format numérique. Nous avons fait l’achat d’un Kamishibaï afin que les élèves du service puissent également conter eux-mêmes, au sein de l’unité de l’hôpital. Du point de vue de l’axe « visite », les médiatrices doivent venir présenter une «
Conversation autour de la Petite Galerie » à l’hôpital prochainement et la visite au Louvre devrait avoir lieu au cours des prochaines vacances d'avril.

Quels conseils pourriez-vous donner à vos collègues qui organisent des visites avec des élèves malades ?

- Ne jamais dire oui à un projet clé en main, mais chercher des partenaires qui acceptent de construire le projet de visite avec vous.

- Éviter les écrans, les jeunes malades n’ont souvent que cela devant les yeux. Tout ce qui peut les en extraire est à étudier avec intérêt.

- Ne pas oublier la question de l’accessibilité des locaux, en particulier pour les fauteuils roulants qui sont aussi utiles pour des jeunes très fatigables.

- Si un atelier est prévu sur place, demander à disposer de tabourets pliants, car certains jeunes ne peuvent pas ou ne doivent pas se mettre au sol.

- Viser clairement un objectif de visite et ne pas chercher à voir trop d’œuvres ; il est préférable d’en voir peu et de prendre le temps de les étudier.

- Prévoir un questionnaire, un dessin ou schéma à réaliser qui peuvent être des supports de la visite et des soutiens pour la mémoire.

- Avoir le choix d’une visite libre, sous la responsabilité de l’enseignant ou d’une visite avec un conférencier. En effet, si le conférencier ne répond pas aux besoins des jeunes, la visite devient difficile à vivre, compte tenu des retentissements de la maladie.

12/05/2020

 

 

 

 

 

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