Les contes sont étudiés à l’école car ils constituent le support de multiples activités pédagogiques. Outre leur aspect littéraire, ils apportent de façon symbolique des suggestions pour traverser les difficultés de la vie. C’est pourquoi ils peuvent contribuer à de nombreux apprentissages, ainsi qu’au développement harmonieux des élèves. Compte tenu des épreuves particulières qu’ils subissent, les jeunes malades peuvent trouver des réponses pertinentes à leurs besoins éducatifs particuliers dans les contes.

 

BEP (Besoins Educatifs Particuliers)

Les répercussions des maladies sur la scolarisation peuvent entraîner des besoins éducatifs particuliers (BEP). Pour l'école, il s'agit en premier lieu de favoriser au mieux l'accès aux apprentissages pour tous, en mettant en oeuvre des pratiques bénéfiques aux élèves quels qu'ils soient, malades ou non (Voir les fiches de la rubrique jaune « Rendre l'école accessible »). Mais concernant certains jeunes malades, des aménagements spécifiques doivent être mis en place concernant la vie scolaire et/ou les temps de classe.

 

Vivre avec une maladie chronique dans l’enfance ou à l'adolescence

Pour les élèves concernés, la maladie intervient à la fois comme agression interne (douleurs, fatigue, manifestations spécifiques selon les organes atteints, entrave à l’activité, isolement…) et comme une agression externe (techniques de diagnostic et de soin, régimes, rééducations, dépendance à une machine…). Chronique, évolutive ou non, ponctuée de crises, avec ses phases de rémission et ses rechutes, ses périodes d’espoir et d’incertitudes, la maladie introduit dans l’histoire de l’enfant et de l’adolescent des événements qui jalonnent sa vie.

Il n’y a pas de « profil psychologique-type » qui décrirait l’ensemble des jeunes malades ou bien ceux souffrant de telle ou telle affection. D’ailleurs, il n’y a pas toujours adéquation entre la gravité médicale et les réactions psychologiques de l’enfant ou adolescent malade. Parfois une maladie bénigne peut avoir des effets dévastateurs chez un jeune fragile. D’autres fois, paradoxalement, une maladie grave est bien supportée. Les réactions du jeune ont une origine multifactorielle. Interviennent les réactions de son entourage : familial, scolaire, médical.

« Le concept de maladie reste imprégné de pensée magique, même pour les esprits les plus rationalistes », souligne Georges Canghilhem dans son ouvrage Le normal et le pathologique : introduction d’un être malfaisant, perte de l’harmonie de la nature, erreur de programmation… L’enfant vit souvent la maladie comme une punition. Mais il n’a pas la même perception du temps. Il vit les agressions comme étranges, prolongées, indéfinies, car il manque de repères. Chez l’adulte, la maladie chronique ajoute aux souffrances quotidiennes une souffrance existentielle. L’enfant, quant à lui, va l’éprouver aussi, progressivement, selon une maturation souvent accélérée. Chez l’adolescent, la maladie va généralement majorer les interrogations difficiles liées à l’autonomie, la maturation sexuelle, l’image du corps, l’identité.

Toutes les phases d’une affection chronique peuvent entraîner des questionnements douloureux :
- les phases les plus aiguës réveillent des sentiments d’injustice et de culpabilité ;
- les périodes de rémission ou d’équilibre peuvent être difficiles pour le jeune qui ne comprend pas la nécessité de poursuivre des traitements, des régimes, des examens contraignants ;
- la guérison elle-même n’est pas toujours facile à vivre car la maladie a laissé ses traces.

La maladie entrave les capacités physiques et oblige à soumettre son corps aux autres du fait des examens et des soins, à devenir dépendant, passif. Cela réveille souvent des angoisses d’abandon, d’annihilation... Cependant, certains jeunes montrent une hardiesse à manipuler leur corps qui va à l’encontre des images de que l’on peut avoir d’un « enfant fragile ».

Face à ces épreuves multiples, chacun va mettre en oeuvre des stratégies de défense, efficaces ou non, selon les moments et les situations : régression (se comporter comme un enfant plus jeune), déni (« Je ne suis pas malade », « Je n’ai pas besoin de ce traitement »...), identification au mal (« Je  ne suis plus rien d’autre qu’un malade »), refuge dans l’imaginaire, détachement apparent, cauchemars, rêves, opposition, agressivité, dépression…

 

Intérêt des contes au niveau symbolique

Les jeunes malades ont donc certains besoins éducatifs particuliers (BEP), dont la prise en compte sera essentielle pour favoriser leur développement et face auxquels un travail sur les contes peut apporter des réponses. Il s’agit notamment pour ces élèves :
- d'être reconnus comme « sujet à part entière »
- d’accéder à des situations où ils sont acteurs
- d’être entendus, de pouvoir s’exprimer, communiquer, rompre leur isolement
- d’avoir une représentation interne de leur maladie.

Or les contes, ces récits fictifs et souvent merveilleux mettent en scène des personnages, généralement non individualisés, dans un temps et un espace habituellement indéterminés et les aventures de ces personnages, même miraculeuses sont présentées comme pouvant arriver à tout un chacun. François Flahaut, philosophe et anthropologue, considère que les contes sont des lieux de représentation de l’identité, illustrant la réalisation de soi, grâce à la relation avec les autres. Ils interrogent sur la manière de construire un espace où l’on vit ensemble.

Pour Bettelheim (Psychanalyse des contes de fée, 1976), les contes reflètent des angoisses et des conflits propres à l’enfance. Ils aident l’enfant à mieux identifier ses émotions et ont une fonction thérapeutique. Soulignons que pour les enseignants travaillant sur des contes avec leurs élèves, il ne s’agit pas d’étudier les interprétations symboliques des contes. Mais la découverte des contes par des activités d’ordre pédagogique peut en elle-même contribuer à aider l’élève malade à traverser et à surmonter certaines épreuves. En effet, ces activités pédagogiques peuvent aider l’élève à :
- se reconnaître comme sujet en s’identifiant à certains personnages ;
- devenir acteur d’un projet (écriture d’un conte, activité théâtrale…) ;
- échanger avec les autres : par la médiation du conte, le jeune peut indirectement exprimer des émotions, être entendu et aussi être respecté dans ses silences. Une écoute bienveillante peut parfois contribuer à calmer ou à prévenir certaines de ses angoisses, à mieux y faire face. Écouter un conte ensemble, c’est avoir peur ensemble du loup, de l’ogre ou de la sorcière et lutter ensemble contre la peur. Ainsi chaque élève peut aussi se sentir mieux inscrit dans le groupe de pairs ;
- se réinscrire dans un projet de vie, incluant la maladie, tout en supprimant son aspect exclusif, en luttant par l’intermédiaire de l’imagination, pour accéder à des représentations différentes des situations, plus positives, avec des possibilités d’adaptation ou de maîtrise ;
- accéder à une représentation interne (personnelle) de la maladie, qui ne peut pas être imposée de l’extérieur, mais dont la cohérence peut être améliorée. Cette meilleure représentation de la maladie, à travers la symbolisation des épreuves qu’elle recouvre, peut favoriser une meilleure observance des traitements, des régimes, une meilleure acceptation des examens médicaux, etc.

Il peut également arriver qu’un conte, une activité pédagogique s’y rapportant, suscite une réaction douloureuse chez un élève (mise en retrait, refus de l’activité, agressivité, tristesse…). Cela peut parfois l’amener à faire des confidences ou à poser des questions sur sa maladie ou bien à se murer dans le silence. Il est alors important pour l’enseignant de pouvoir se tourner vers l’équipe médicale ou un psychologue qui connaisse l’élève.

 

Différents types de contes

Il existe différents types de contes, catégorisés dans diverses classifications. Nous en retiendrons trois qui semblent particulièrement pertinents par rapport aux problématiques des élèves malades.

  • Les contes d’animaux

Ils mettent en scène des animaux où l’un est généralement plus fort physiquement et l’autre plus malin. Le puissant est floué ou ridiculisé par son « faible » adversaire. On peut en rapprocher les contes où un diable ou bien un ogre sont dupés. Ex : La petite poule rousse, Le loup et les sept cabris, Les trois petits cochons.

  • Les contes merveilleux

Ils font le récit de conflits familiaux, issus de questions d’identité, de propriété, de pouvoir, de sexualité. Ils commencent souvent par une séparation, un abandon, la mort d’un parent, une rivalité… Cet événement déclenchant va occasionner perte, humiliation, appauvrissement, isolement, déchéance… Le héros va alors traverser une série d’épreuves qui vont l’aider à se connaître, à mûrir, à devenir lui-même. Ainsi sous forme symbolique, l’enfant ou l’adolescent, confronté à ces contes reçoit des suggestions sur la façon de surmonter ses problèmes et de s’acheminer vers la maturité. Cette accession à la maturité est souvent représentée par un mariage heureux, la paternité, la maternité. Certains contes (Le Petit Poucet, Le Petit Chaperon Rouge, Boucle d’Or) ne représentent que le début du parcours puisque les héros retournent chez leurs parents.

Les contes merveilleux sont initiatiques. Ils parlent « entre les mots ». Il ne s’agit pas de donner à écouter les contes en les déchiffrant. Il s’agit de les faire entendre et/ou lire pour que les images puissent éveiller en chacun des résonances avec sa propre histoire (généralement de façon inconsciente).
Ex : La Belle et la Bête (métamorphose), Le joueur de flûte de Hamelin (envoûtement), La Belle au Bois Dormant (endormissement), Barbe-Bleue (désobéissance), Jack et le Haricot magique (aide surnaturelle), Le Petit Chaperon Rouge (séparation).

  • Les contes étiologiques et les contes explicatifs

Ils proposent une explication au pourquoi des choses. Leur titre commence généralement par « Pourquoi » ou « Comment ». Leur structure narrative est un peu particulière. L’état initial se situe avant l’événement à l’origine du phénomène expliqué. Ensuite est exposé le déroulement des faits. Puis le conte s’achève et une formule met en lumière le fait que l’explication vient d’être fournie : « C’est depuis ce jour que… », « Depuis ce temps-là… ». Ces contes expliquent les origines, de façon fantaisiste, poétique et stimulent l’imaginaire.
Ex : Pourquoi la mer est-elle salée ? Pourquoi l’éléphant a-t-il une trompe ?

Contes et apprentissages

Il est nécessaire de proposer beaucoup de contes et de varier les thématiques pour développer chez les élèves une culture littéraire partagée. C’est d’autant plus important pour les élèves malades : certains, du fait du retentissement de leur pathologie ont un accès plus restreint à la culture et aux loisirs. Les activités à partir des contes permettent de stimuler les capacités réflexives, l’imaginaire et la créativité, ce qui favorise le sentiment d’être sujet et acteur de sa propre vie.

Il existe une multitude de supports pour les contes : albums, films d’auteurs, films d’animation, œuvres musicales, adaptations théâtrales, comédies musicales… Selon les éventuelles situations de handicap engendrées par la maladie (« dys », troubles visuels, surdité…), on adaptera les supports choisis.

Les activités pédagogiques sont très diverses : lecture, écoute d’un conteur, analyse d’images, approche comparative des contes, détournement de conte (en veillant à ce que les élèves sachent bien identifier le conte-source), adaptation théâtrale, jeu dramatique, écriture de contes, étude du schéma narratif, étude de la langue (connecteurs de temps, connecteurs logiques, concordance des temps...), description des lieux, portraits de personnages…

 

Quelques exemples de situations d’apprentissage et d’adaptations selon les BEP des élèves

Dans certains cas, c’est l’accompagnement par un(e) AESH (Accompagnant d’Elève en Situation de Handicap) qui permettra à l’élève d’accéder aux apprentissages.
- Remettre dans l’ordre chronologique des images des événements ou des personnages ou des lieux du conte. Pour des élèves très fatigués ou ayant des problèmes de mémoire de travail, on limitera le nombre d’éléments à ordonner ou bien on les fournira progressivement (2 par 2 ou 3 par 3 par exemple)
- Réaliser un jeu dramatique (Voir la fiche Jeu dramatique)
- Reprendre les paroles d’un personnage, dire le conte : un élève sans parole pourra utiliser des pictogrammes, un code de communication, une synthèse vocale
- Etablir un plan, une maquette, un schéma, un parcours qui permet de retrouver les étapes du conte.  Pour un élève ayant des troubles des fonctions exécutives, on proposera de ne réaliser l’activité que sur une partie du conte.

Pour l’écoute des contes :
- créer une ambiance silencieuse pour favoriser l’écoute de tous et notamment celle des élèves fatigués, malentendants, aveugles ou certains élèves dysphasiques
- avoir un débit de parole mesuré, pas trop rapide
- articuler, insister sur l’intonation, les mimiques, la gestuelle
- choisir des moments favorables : matin et milieu d’après-midi
- veiller à une introduction pertinente de mots nouveaux et à l’emploi de phrases complètes, simples ou complexes, mais pas trop longues.

Les adolescents peuvent également largement bénéficier de l’apport des contes, qu’ils soient au collège ou au lycée, scolarisés en classe ordinaire, en Ulis (Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire) ou en UE (Unité d’Enseignement). Selon les niveaux, les activités pédagogiques peuvent être axées sur la compréhension de la structure des contes, l’écriture de contes, une approche comparative de contes (de plusieurs contes ou de différentes versions d’un même conte), l’évolution d’un personnage, les valeurs qu’il incarne… On peut citer par exemple l’adaptation théâtrale de Cendrillon mise en scène par Joël Pommerat. La pièce pose des questions très actuelles en lien avec des thèmes universels.

Récapitulatif des points principaux

- Les contes par leur valeur symbolique peuvent contribuer à l’épanouissement des jeunes malades qui les découvrent, qu’ils soient enfants ou adolescents.
- Les enseignants peuvent offrir une multitude d’activités pédagogiques en relation avec les contes et ainsi favoriser l’accès à la culture et à l’apprentissage de la langue pour leurs élèves.
- A l’école, il ne s’agit pas de déchiffrer la signification symbolique des contes mais la fréquentation de ce genre littéraire, en elle-même, peut contribuer à aider les élèves malades à surmonter certaines épreuves.
- Il est important pour l’enseignant de pouvoir dans certaines situations s’appuyer sur des partenaires: équipe médicale, psychologue.
- Selon les répercussions des maladies et les situations de handicap qu’elles peuvent entraîner, il est nécessaire de réfléchir aux éventuelles adaptations pédagogiques à élaborer pour que tous les élèves aient accès aux apprentissages.

 

L’écriture de cette fiche s’est appuyée sur les documents suivants :

- Léon Kreisler, Pédiatrie et psychiatrie : l’enfant malade, Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant, PUF, Volume 1, p. 461-474.

- Jean Badoual, La collaboration des pédiatres et des psychiatres dans les maladies chroniques graves de l’enfant, Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant, PUF, Volume 1, p. 475-485.

- Marcel Rufo, Le psychiatre dans un service de pédiatrie, Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant, PUF, Volume 1, p. 487-493.

- Roxane Paillier, La place des contes dans les programmes scolaires, Agôn [En ligne], Dossiers, (2014) HS n° 2 : Mettre en scène le conte, Le conte dans l'enseignement : travailler sur Cendrillon en option théâtre, mis à jour le : 27/11/2015, URL : http://agon.ens-lyon.fr/index.php?id=3144. Cet article montre la place des contes aussi bien dans le 1er que dans le 2nd degré.

- Gilda Dufourd-Metral, Le conte à l’école, un document de l’Académie de Grenoble, qui propose un historique des contes, des éléments de définition, de classification et de nombreuses pistes pédagogiques concrètes.

 

28/01/20

Enquête et partage