Pouvez-vous décrire vos premiers instants à l'ULIS TED ?

Je travaille dans une Unité Localisée pour l'intégration scolaire, en collège, avec les adolescents de 12 à 18 ans autistes, atteints de troubles envahissants du développement (TED).
Quand je suis venue, trois mois avant ma prise de poste, j'ai trouvé que l'atmosphère de la classe était très calme. Les élèves avaient un comportement d'élèves, ce qui était rassurant. Quand j'ai pris la classe en septembre, la première difficulté qui s'est présentée a été de capter l'attention des élèves car, tout en étant calmes, ils pouvaient être totalement « ailleurs ». C'est-à-dire qu'ils ne manifestaient pas de présence ni à eux-mêmes, ni à l'égard d'autrui.
Au fur et à mesure, je me suis rendu compte qu'ils avaient chacun une manière de penser qu'il fallait connaître, à laquelle il fallait s'adapter pour arriver à communiquer avec eux. Par la suite, au cours de l'année, j'ai rencontré quelques problèmes de comportement de la part de certains élèves, même si un cadre de travail avait été mis en place. J'ai ainsi dû accentuer certains éléments structurants comme la mise en place d'emplois du temps personnels alors qu'il n'y avait que des emplois du temps collectifs jusqu'alors.
Est-ce que ce type de travail génère chez l'enseignant des émotions particulières ?
Oui, cela a été vrai au début et encore plus a priori, avant d'avoir les élèves : je me disais que ce travail allait être stressant. Cependant, au fur et à mesure du travail avec les élèves, j'ai été rassurée. Paradoxalement, c'était quand j'étais en vacances que toutes les idées préconçues me revenaient en tête... alors que ces problèmes imaginaires n'avaient pas réellement lieu en classe. Mais je craignais une crise, une explosion. Ces craintes relèvent donc plus de l'imaginaire car raisonnablement, je me dis que s'il y a des crises, il y a des solutions aussi.
Et qu'avez-vous appris de ces premières expériences, en faisant classe ?
J'ai pris le temps de savoir comment ils pensent, se représentent leur environnement, matériel, humain ; comment ils fonctionnent, et à partir de là, j'ai pu avoir une idée de comment les faire évoluer. Car si une approche s'appuyant sur le collectif peut s'avérer intéressante pendant les premiers temps, il faut faire du sur-mesure pour les faire avancer de manière optimale par la suite.

Quels sont les besoins éducatifs particuliers de vos élèves ?

L'un de mes élèves, Steven, peut avoir des troubles du comportement : il peut se taper le front quand il rencontre une difficulté, dès qu'il n'arrive pas répondre aux sollicitations ou à se faire comprendre de nous, verbalement... Compte tenu de ses troubles du langage (difficultés à exprimer ses pensées, difficultés à trouver des mots, difficultés à traduire les sentiments en mots), ce type de réaction va se manifester souvent. Cet élève est très attaché aux personnes et se montre extrêmement sensible à leur absence. Si par exemple un élève ou une autre personne habituellement présente dans la classe s'absente, il va se questionner.
Il montre qu'il se sent perdu et inquiet en disant par exemple : « Où Steven, où Steven ?... ? » nous interpellant ainsi de façon répétitive sur l'endroit où il se trouve. Il peut rester sur cette idée fixe jusqu'à ce qu'on lui apporte une réponse satisfaisante. Il faudra lui préciser clairement où se trouve cette personne et savoir ainsi le rassurer.
J'ai un autre élève qui a un syndrome d'Asperger. Contrairement à l'élève précédent, il peut parler très abondamment. Son discours peut parfois être structuré ou ne pas faire sens à nos yeux. Mais on s'aperçoit, si on y prête particulièrement attention, qu'une certaine logique structure le récit. Cependant, il vaut mieux l'arrêter au bout d'un moment pour le faire revenir à de vraies conversations car il peut entrer dans de longs monologues. Par rapport à l'autre élève, il va être moins sensible aux changements de personnes. Sa difficulté principale consiste à se montrer d'une exigence et d'une intransigeance absolue vis-à-vis de lui-même. Ainsi adhère t-il aux propos ou à nos demandes « au pied de la lettre », n'étant capable d'aucun ajustement, d'aucune souplesse. Par exemple, si on dit qu'il sera grondé s'il ne fait pas un travail, il le vit de manière dramatique. Il a cependant fait beaucoup de progrès de ce côté là cette année. Avant, le regard des autres le perturbait grandement, il s'imaginait qu'on lui voulait du mal.
Y aurait-il des difficultés communes entre tous les élèves ?
Parmi les éléments communs, je pourrais citer les intérêts restreints, la rigidité et l'attachement à la routine, aux rituels. Par exemple ils ont un intérêt commun qui génère bon nombre de discussions entre eux. : il s'agit de tout ce qui concerne le métro, les plans des rues, les plans de quartiers. Ils connaissent d'ailleurs toutes les lignes du métro. Cette focalisation peut avoir des effets négatifs : quand on leur parle d'un sujet, ils ont tendance à demander dans quel lieu précisément a eu lieu l'action, alors que ce n'est pas l'enjeu de l'activité proposée.
En ce qui concerne leur rigidité, ils sont très sensibles aux changements dans leurs emplois du temps de journée ou de semaine. Si on souhaite changer un élément de cet emploi du temps, il faut bien le préciser avant, pour qu'ils l'acceptent comme un nouvel élément de l'emploi du temps.
Une autre spécificité de mes élèves concerne le domaine verbal. Si je veux apporter une indication et m'en tenir uniquement à des explications verbales, cela sera insuffisant pour eux. Ils ont besoin que la parole soit accompagnée de stimuli visuels de manière systématique, quel que soit le contenu. Cela est également vrai pour les élèves qui parlent beaucoup comme l'élève avec syndrome d'Asperger. Même pour lui, si je ne n'utilise que la voie orale, la compréhension sera difficile. Je dois accompagner mes mots de gestes, et montrer des images.
 

Au niveau du relationnel, ont-ils des difficultés particulières ?

S'ils peuvent sembler s'ignorer parfois totalement, ils sont néanmoins conscients de la présence des uns des autres. Cela fait longtemps qu'ils sont ensemble au collège, on a cultivé le fait qu'ils communiquent entre eux, en créant des situations de communication. Par exemple, quand un élève a besoin de colle, on fait en sorte qu'il demande la colle à quelqu'un.
Avec les personnes extérieures à la classe, s'ils ont conscience de leur présence et identifient qui est qui, ils sont mal à l'aise quand on entre en contact avec eux. Il faut les aider à savoir comment faire lors de ces échanges. Par exemple, si un autre élève demande à un élève autiste : « où est ton cartable », bien que ce dernier sache très bien où est son cartable, il ne saura pas bien traiter l'information et répondre à la question.
Globalement, les relations entre élèves de l'Ulis sont quand même assez distantes. Je pense qu'en dehors du collège et des situations où la communication est aménagée par les adultes, il n'y a pas vraiment de liens entre eux.

Vos élèves ont-ils des compétences particulières, y a-t-il des points vraiment positifs ?

Mes élèves ont une bonne mémoire, supérieure à la moyenne, même si parfois ils éprouvent des difficultés à établir faire des liens entre les pensées, entre les différents savoirs. Je travaille beaucoup avec des apprentissages par listes, par répertoires. Ils emmagasinent un maximum de connaissances, et ensuite je les aide à les employer à bon escient. Ils retiennent surtout ce qui a été écrit, ce qui a été travaillé, à base d'images notamment.
Cependant, les acquis ne sont pas stables, parce qu'ils ont une mémoire « catalogue ». Les connaissances sont rangées quelque part, mais ce n'est pas évident pour eux de les retrouver à volonté, et à bon escient. Leur rappeler le contexte peut les aider à récupérer l'information.
Ils ont encore plus de difficultés à raconter ce qui est de l'ordre du vécu, sauf quand il s'agit d'éléments pour lesquels ils manifestent un intérêt particulier. Le fait de raconter leur week-end n'est réellement pas évident pour certains, il faut vraiment les aider à chercher.

 

Avez-vous une pédagogie particulière pour les élèves autistes ou avec des troubles envahissants du développement ?

Oui, je ne peux pas mener le même type de pédagogie que dans les classes ordinaires. Quand on est enseignant en milieu ordinaire, on introduit des éléments qui éveillent la curiosité, surprennent les élèves, les amènent à traiter de l'inconnu. C'est plaisant de mobiliser l'attention et l'intérêt des élèves en utilisant des mises en scène, en jouant sur le plaisir de la découverte d'une nouveauté. Avec les élèves autistes, il faut plutôt annoncer clairement ce qu'on va faire. Décortiquer les activités pour eux. Cultiver le suspens s'avère peu utile. Il faut tout expliciter pour qu'ils puissent aller à l'essentiel. Je précise toujours en début de séance et régulièrement en cours d'activité, ce sur quoi on travaille (objet de la tâche), ce qu'on doit savoir faire à la fin du travail et ce qu'on cherche à réaliser (objectifs de l'apprentissage et de la tâche). La répétition est nécessaire. Il ne faut pas hésiter à répéter les mêmes activités, plus qu'on ne le fait habituellement avec les élèves non autistes.
Au niveau des objectifs, il est essentiel de développer une certaine autonomie dans le travail. Il faut s'attacher à faire acquérir des compétences, disciplinaires et transversales, en particulier sociales. Si l'on ne fait que survoler une multitude d'éléments, il n'y aura rien d'inscrit, rien dont on est sûr qu'ils pourront se saisir.

 

Si vous aviez à donner juste deux ou trois conseils à un collègue qui n'a jamais travaillé avec des élèves autistes, que pourriez-vous dire ?

Il faut élaborer des consignes simples avec peu de mots. Il faut utiliser des images, de façon à ce que lorsque les élèves voient l'exercice, ils comprennent directement ce qu'il faut faire, sans que l'enseignant soit obligé d'expliquer à l'oral avec plusieurs phrases. Les élèves doivent se mettre ensuite immédiatement dans l'activité. Chez les autistes, il vaut mieux employer une démarche inductive : faire de nombreux exercices pour accéder aux principes plutôt que d'expliquer le principe puis de réaliser des exercices d'application.

Mise à jour des liens 28/06/2017

Circulaire n° 2015-129 du 21-8-2015 : Unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis), dispositifs pour la scolarisation des élèves en situation de handicap dans le premier et le second degrés

Arrêté du 2-4-2009 - J.O. du 8-4-2009 : Création et organisation d'unités d'enseignement dans les établissements et services médico-sociaux ou de santé

Circulaire n° 2017-084 du 3-5-2017: Missions et activités des personnels chargés de l'accompagnement des élèves en situation de handicap

Aménagement des examens ou concours pour les candidats présentant un handicap : textes officiels : Dossier INSHEA

Loi du 11 février 2005 sur l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées
(voir en particulier l'Article 19)

Adresses des MDPH
 

Scolariser les enfants autistes ou présentant des troubles envahissants du développement
Ce guide pratique a été rédigé par l'INSHEA, en lien avec la DGESCO, pour permettre aux enseignants de mieux connaître les caractéristiques de l'autisme et des autres troubles envahissants du développement et leurs conséquences en termes d'apprentissage. Il doit ainsi les aider à mettre leurs capacités et leurs compétences professionnelles au service d'une pédagogie adaptée aux besoins des élèves porteurs de ces troubles.

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